RÉGIME PRÉSIDENTIEL

RÉGIME PRÉSIDENTIEL
RÉGIME PRÉSIDENTIEL

La classification juridique des divers systèmes constitutionnels peut s’opérer d’après des points de vue différents. Selon les cas, certains auteurs les classent en s’appuyant sur le principe de légitimité retenu (dictature du prolétariat, souveraineté du peuple, souveraineté nationale, par exemple); d’autres, en se référant au degré de mutabilité des institutions (constitutions souples ou rigides). Cependant, encore qu’elle soit susceptible de se combiner avec d’autres et qu’elle ne recouvre qu’un aspect partiel des systèmes constitutionnels, la classification qui est la plus fréquemment utilisée et que rappellent tous les ouvrages de droit constitutionnel s’opère par référence au principe de la séparation des pouvoirs .

Après avoir recensé les régimes qui méconnaissent la séparation des pouvoirs, soit au profit de l’exécutif (dictature), soit au profit du législatif (gouvernement d’assemblée, dit aussi gouvernement conventionnel), les auteurs classiques distinguaient, parmi les régimes respectueux du principe de séparation, deux variétés:

D’une part, les régimes pratiquant une séparation souple des pouvoirs se caractérisent par le fait que, si le législatif et l’exécutif ont des compétences et des champs d’action distincts, ils n’exercent pas moins l’un sur l’autre une influence réciproque; cela se réalise notamment là où les Chambres contrôlent l’action gouvernementale, peuvent renverser le gouvernement, et là où le gouvernement participe à l’élaboration des lois, peut poser la question de confiance et, le cas échéant, recourir à la dissolution de l’une des Chambres.

D’autre part, les régimes pratiquant une séparation stricte ou rigide des pouvoirs se manifestent en ce que chaque pouvoir, enfermé dans des compétences et un champ d’action déterminés, ne saurait influencer activement l’autre pouvoir. Tel était notamment, au moins d’un point de vue théorique, le régime institué en France par la Constitution de 1791. On pourrait aussi ranger parmi les régimes de séparation rigide des pouvoirs, ceux dans lesquels l’exécutif, ainsi séparé du législatif, est de forme collégiale, ce qui a amené certains auteurs à employer pour les désigner l’épithète «directorial», car c’est la Constitution française de l’an III qui en fournit le modèle.

Le régime présidentiel, dans l’analyse juridique classique, est le régime de séparation rigide des pouvoirs dans lequel l’exécutif est confié à un président. Pourtant, s’il n’était pas inutile, ne serait-ce que pour comprendre le vocabulaire, de rappeler comment se situe et s’articule dans l’analyse juridique traditionnelle le régime présidentiel, il faut bien dire que la réalité politique qu’il offre aux États-Unis, qui en est le modèle le plus parfait, et peut-être le seul, est très différente du schéma qu’on vient de rappeler. Les institutions et la vie politique ne sont que partiellement dessinées par les règles constitutionnelles qui prétendent les régir. La pratique politique a fortement transformé et déformé le système de cloisonnement entre exécutif et législatif qui fonde juridiquement le régime et dont l’assouplissement, sinon l’effraction sont nécessaires pour la conduite des affaires nationales et internationales d’un État. Le système de partis , d’autre part, est un élément déterminant de la réalité politique. Aux États-Unis, la corrélation est étroite entre l’agencement vécu des pouvoirs et des forces politiques et le système de partis américain.

Enfin, les transformations et la véritable mutation qu’ont subies les régimes parlementaires à l’époque moderne, combinées avec celles éprouvées par le régime présidentiel, ont abouti à un résultat paradoxal: le régime présidentiel à l’américaine présente aujourd’hui certains traits que, naguère, on relevait comme caractéristiques du parlementarisme (et notamment la recherche incessante de compromis entre législatif et exécutif), cependant que, dans le régime parlementaire anglais contemporain, caractérisé par le leadership gouvernemental et l’inconditionnalité de la majorité, fruits l’un et l’autre du système de partis, des observateurs politiques notent un «présidentialisme» larvé.

1. Les règles juridiques

Ce sont essentiellement les vues de Locke et de Montesquieu sur la séparation des pouvoirs qui constituent le fondement même des règles constitutionnelles gouvernant le régime présidentiel: les deux pouvoirs «politiques», législatif et exécutif, sont indépendants l’un de l’autre, chacun exerçant ses compétences de façon autonome.

Mais c’est un accident de l’histoire qui a donné à l’exécutif la forme d’une présidence élective. En effet, les États-Unis, qui, les premiers, appliquèrent systématiquement le principe de séparation, étaient une fédération de colonies révoltées contre leur monarque et donc condamnées à un gouvernement républicain. Dans le même temps, la monarchie britannique, qui, sur la lancée de la révolution de 1688 et du Bill of rights, avait fourni le modèle de la séparation des pouvoirs, commençait, en infléchissant celle-ci, à inventer le régime parlementaire.

Le législatif et l’exécutif

Comme tout système démocratique, un régime présidentiel comporte une ou deux assemblées élues. Dans le système américain, la dualité des Chambres au sein du Congrès tient au fédéralisme qui veut que l’une des deux Chambres (la Chambre des représentants) représente les citoyens des États-Unis en tant que tels et que, par suite, chaque État y envoie des députés en raison de son importance, cependant que l’autre (le Sénat) représente les États membres eux-mêmes, ayant chacun, quelles que soient son étendue ou sa population, un nombre uniforme de deux sénateurs. Néanmoins, la Constitution française de 1848 (cf. infra ), dans la logique de l’État unitaire, n’avait prévu qu’une seule Chambre. L’essentiel est que le pouvoir législatif est confié dans sa totalité à une ou deux assemblées.

L’exécutif est, quant à son origine et à sa nature, caractérisé par deux traits. En premier lieu, la désignation du président n’appartient pas aux membres du législatif et, en fait, a lieu au suffrage universel. Sans doute, dans la Constitution américaine de 1787, la désignation des membres du collège électoral devant désigner, à leur tour, le président incombait-elle aux législatures des États (c’est-à-dire aux parlements locaux). Mais le double effet des révisions constitutionnelles et de l’évolution vers le suffrage universel a abouti à ce que ce soient les citoyens qui élisent eux-mêmes les membres du collège électoral, dont le vote se porte en principe sur le candidat du parti pour le compte duquel ils ont été élus. Finalement, dans la plupart des cas, tout se passe comme si les citoyens élisaient eux-mêmes le président. L’essentiel est que l’investiture de celui-ci ne procède en rien des membres du législatif (sauf le cas, rarissime, où une majorité absolue ne se dégagerait pas au sein du collège électoral et où, en vertu de la Constitution, le choix reviendrait alors à la Chambre des représentants).

L’autre trait caractéristique de l’institution est que le président n’est pas le «chef de l’exécutif»; il est l’exécutif. Il n’est pas seulement chef de l’État, mais aussi chef du gouvernement au sens le plus fort du terme et réunit donc sur sa tête toutes les compétences majeures de l’exécutif. Encore que le terme de cabinet soit souvent employé pour désigner l’ensemble des ministres, il n’existe pas de «gouvernement de cabinet». Le président prend conseil de ses ministres, mais décide seul. On verra plus loin qu’il nomme et révoque à son gré les ministres.

Ainsi le régime présidentiel s’oppose-t-il sur des points essentiels au régime parlementaire: origine élective du président, étrangère à toute intervention des Chambres; absence de distinction entre chef d’État et chef de gouvernement; direction «monarchique», sans gouvernement de cabinet.

L’autonomie de chacun des deux pouvoirs

L’autonomie de chacun des deux pouvoirs au regard de l’autre se manifeste par deux caractères, qui font de nouveau contraste avec le régime parlementaire.

Tout d’abord, chaque pouvoir a ses compétences propres dans l’exercice desquelles l’autre n’intervient pas, sinon exceptionnellement, par l’exercice de la «faculté d’empêcher». Aux Chambres, donc, le pouvoir législatif et le pouvoir financier sans partage. À la lettre, le président des États-Unis ne pourrait proposer ni la loi ni le budget et ne pourrait intervenir dans les travaux et discussions du Congrès les concernant. Réciproquement, les tâches de l’exécutif reviennent au seul président sans participation des Chambres: le maintien de l’ordre, l’administration, la politique étrangère, la défense nationale sont la seule affaire du président.

Ensuite, il n’existe pas de procédures juridiques permettant à l’un des pouvoirs de mettre en cause l’investiture de l’autre. Le président ne possède pas le pouvoir de dissoudre la ou les Chambres; normalement, il n’exerce pas d’influence sur la durée de leurs sessions; les moyens habituels d’influence du gouvernement sur le parlement en régime parlementaire lui sont refusés, notamment celui d’intervenir dans les discussions législatives. Le cabinet n’est pas un «pont» jeté entre le président et les Chambres, puisque les ministres ne sont pas membres de celles-ci et n’appartiennent pas nécessairement à leur majorité ni même au parti du président.

Mais, réciproquement, les Chambres ne peuvent agir contre l’exécutif. Élu pour une durée déterminée, le président ne peut être renversé par les Chambres et n’a pas besoin de leur confiance. Les ministres sont ses agents et ne sont pas politiquement responsables devant elles; en revanche, il appartient au président de mettre fin à leurs fonctions.

Sans doute existe-t-il une responsabilité pénale dans la mise en jeu de laquelle les assemblées peuvent intervenir, telle que l’impeachment prévu par la Constitution des États-Unis et qui permettrait au Sénat, sur mise en accusation de la Chambre des représentants, de destituer le président à une majorité renforcée. Mais alors qu’en Grande-Bretagne l’impeachment a été l’une des sources de la responsabilité politique du cabinet, aux États-Unis il a gardé son caractère pénal et, malgré une tentative faite en 1868, n’a pas dégénéré en procédure sanctionnant un simple désaccord politique.

Pourtant, fidèles en cela aux enseignements de Montesquieu, au nombre des cheks and balances («freins et contrepoids») destinés à assurer l’équilibre des pouvoirs, les constituants américains ont prévu des procédures par lesquelles pouvoir législatif et pouvoir exécutif, sans intervenir activement l’un dans le domaine de l’autre, peuvent entraver les décisions l’un de l’autre. Aux États-Unis, le Sénat est investi du pouvoir d’approuver la nomination des ministres, des ambassadeurs, des juges de la Cour suprême et des hauts fonctionnaires; de même, la ratification des traités n’est pas possible sans son accord à une majorité des deux tiers. De son côté, le président possède l’importante prérogative du veto, qui lui permet de s’opposer aux lois votées par le Congrès et qui ne peut être brisé que par un nouveau vote du texte refusé (à la majorité des deux tiers dans chaque Chambre).

On ne peut pas dire que, par nature, l’existence d’une juridiction exerçant un contrôle de constitutionnalité soit un élément nécessaire du régime présidentiel. C’est si vrai que la Constitution des États-Unis ne prévoit nullement que la Cour suprême soit investie de telles fonctions. C’est la Cour suprême qui, en 1803, en vertu d’un raisonnement juridique d’ailleurs exact, reconnut aux juges le pouvoir d’accueillir «l’exception d’inconstitutionnalité» par laquelle un plaideur prétend écarter à son encontre l’application d’une loi (ou de tout autre acte) en alléguant qu’elle est contraire à la Constitution. Mais, depuis lors, ce pouvoir de la Cour suprême s’est incorporé au régime présidentiel américain et, malgré les excès du «gouvernement des juges» auxquels la Cour suprême a renoncé depuis la Seconde Guerre mondiale, a fini par en faire partie intégrante. C’est, en effet, un instrument propre à régler les conflits juridiques qu’entraîne nécessairement un régime de séparation des pouvoirs et à assurer, d’autre part, le «concert» du législatif et de l’exécutif.

2. La pratique politique

C’est évidemment aux États-Unis qu’il faut rechercher la pratique politique du régime présidentiel la plus significative. Elle a abouti à des résultats très différents de ceux que les schémas juridiques semblaient postuler, et cela non parce que les dispositions constitutionnelles auraient été méconnues, mais simplement parce que l’idéal de la séparation des pouvoirs a été affronté aux nécessités du gouvernement d’une grande puissance mondiale et à un système de partis qui est à la fois la conséquence du système juridique et son facteur principal d’inflexion.

Le concert des pouvoirs

Il va de soi que la direction de l’État ne peut être assurée par un législatif et un exécutif agissant de manière vraiment indépendante chacun dans son domaine. Pour ne prendre que deux exemples, on ne conçoit pas comment un budget qui est l’expression des besoins financiers de l’administration pourrait être préparé autrement que par celle-ci qui, seule, dispose des informations nécessaires, ni comment un programme législatif ne serait pas, pour sa plus grande partie, d’origine gouvernementale, alors que les lois sont des moyens d’action pour la politique gouvernementale. Aussi ne faut-il pas s’étonner de ce que le président ait, par des biais divers, conquis l’initiative législative et l’initiative budgétaire. Outre le procédé simple qui consiste à faire passer par le canal d’un sénateur ou d’un représentant fidèle les projets de loi dont le président veut assurer le dépôt, les messages annuels du président «sur l’état de l’Union», prévus par la Constitution, s’accompagnent d’un programme législatif en bonne et due forme.

Symétriquement, le Congrès, s’il n’a jamais obtenu ni même recherché le pouvoir de renverser les ministres, a établi un système de contrôle très poussé sur l’exécutif par le biais de ses commissions. Usant de leur pouvoir d’investigation et profitant largement de la publicité faite à leurs activités, les commissions ont multiplié les convocations de fonctionnaires et de personnalités diverses devant elles, usant à cette fin de pouvoirs quasi judiciaires. Le résultat est une critique incessante, active et parfois retentissante des actions du président et de ses ministres ou collaborateurs.

Il faut en effet saisir le fait que, en dépit de la séparation des pouvoirs proclamée, le président et le Congrès possèdent l’un sur l’autre de très puissants moyens de pression. Une opposition systématique du Congrès au président pourrait priver celui-ci des moyens financiers et de la législation nécessaires à la conduite de sa politique; le Sénat pourrait empêcher les nominations de ministres et d’agents fédéraux désirées par le président. Encore que la pratique des «accords exécutifs» permette à celui-ci de conclure nombre d’accords internationaux en évitant la forme de traité, le Sénat tient de son pouvoir de ratification des traités un moyen d’influence important.

De son côté, le président puise dans son pouvoir de veto à l’égard des lois votées par le Congrès, et dont il n’hésite pas à user (en douze ans, F. D. Roosevelt s’en servit plus de six cents fois), un moyen de pression sérieux. Mais surtout, l’étendue de ses attributions, sa qualité de chef de l’administration fédérale mettent dans ses mains postes et crédits dont il use pour se concilier le soutien des membres du Congrès.

Ainsi s’institue un énorme système de compromis et de marchandages entre la Maison-Blanche et le Capitole qui, par-delà l’officielle séparation des pouvoirs, constitue ce «parlementarisme de couloirs», dans lequel W. Wilson voyait l’essentiel de la réalité politique américaine. Malgré son caractère partiellement occulte, malgré l’intervention des pressure groups et des lobbies dans ce jeu compliqué, le fond demeure démocratique. Il ne faut pas perdre de vue en effet la fréquence des consultations électorales: tous les deux ans, les citoyens des États-Unis sont appelés à élire une nouvelle Chambre des représentants et le tiers des sénateurs; tous les quatre ans, un président. Par conséquent, toute divergence essentielle entre le président et le Congrès relève d’un arbitrage prochain du corps électoral. Les membres du Congrès ne peuvent s’aventurer inconsidérément à contrecarrer systématiquement la politique d’un président qui tient son mandat de la nation tout entière et jouit d’un prestige supérieur au leur. Le président, de son côté, a tout intérêt, notamment s’il envisage de briguer une seconde élection, à écouter attentivement les membres du Congrès qui sont souvent l’écho de l’opinion nationale. L’électeur est, silencieusement mais réellement, présent dans le processus de concertation entre le législatif et l’exécutif, dont il est à la fois la source et le contrôleur.

Le système de partis

On ne comprendrait pas cependant la réalité politique américaine et le sens profond du régime présidentiel qui l’encadre si l’on ne mettait pas celui-ci en relation avec le système de partis.

Apparemment, les États-Unis ont un régime bipartisan comme celui de la Grande-Bretagne et même, en un certain sens, à un degré supérieur puisque, au contraire de ce qui s’est passé en Angleterre, aucun des deux vieux partis n’a dû, depuis les origines, céder sa place à une nouvelle formation. En fait, il existe de très grandes différences entre les deux pays et le système bipartisan des États-Unis recouvre des données complexes.

Tout d’abord, si les partis britanniques sont peu dogmatiques, chacun d’eux se rattache cependant à une idéologie. Rien de tel pour les partis américains. L’époque où un clivage politique pouvait s’opérer entre les républicains, défenseurs des prérogatives de l’Union, et les démocrates, défenseurs des droits des États, est révolue. Dire que les républicains sont «de droite» et les démocrates «de gauche» est bien sommaire et ne tient pas compte de ce que la gauche des républicains est plus à gauche que la droite des démocrates. Sur des problèmes comme celui des droits des Noirs, de la politique étrangère, de la guerre au Vietnam, aucun des deux partis n’a dégagé de doctrine acceptée par la masse de ses tenants.

Non seulement chacun des deux partis est d’abord une «machine» dont la raison d’être est la conquête et l’exercice du pouvoir, mais ces machines ne sont pas centralisées. C’est essentiellement au plan local – celui des législatures d’État, des municipalités – que se saisit l’existence des partis. Globalement, chacun d’eux est plutôt une confédération de tendances composites qui se manifeste au niveau national de façon intermittente pour désigner et tenter de faire élire le candidat du parti à la présidence.

Il n’existe pas de discipline de parti au sens anglais du terme, ni de soutien inconditionnel des parlementaires du parti majoritaire au gouvernement issu de celui-ci. Si, sans doute, au Congrès, la majorité dans l’une ou l’autre Chambre dispose de prérogatives parlementaires, notamment la présidence des commissions, les votes dépendent très largement des positions personnelles des élus.

Cette situation a, pour le président, des inconvénients, mais aussi des avantages. L’inconvénient est que, bien que chef de son parti, il ne peut compter sur des votes massifs en faveur de ses projets venant de ceux qui, pourtant, devraient être ses soutiens naturels; il lui faudra user à leur égard de persuasion, de pressions et savoir consentir des compromis. En revanche, il peut recevoir l’appui des membres de l’autre parti et user ainsi de majorités de rechange. Bien plus, le fait d’avoir en face de lui dans l’une ou l’autre Chambre une majorité appartenant au parti adverse ne l’empêche pas de gouverner puisqu’il n’y a pas identification entre l’action présidentielle et le parti du président en tant que tel. Paradoxalement, on a vu des présidents plus à l’aise avec un Congrès où leur parti était minoritaire, car cela les débarrassait de la tutelle, parfois pesante, des anciens et des notables de leur propre parti.

Au fond, tout paraît se passer comme si la classe politique américaine se divisait en plusieurs partis se regroupant de façon bipolaire pour l’élection présidentielle, mais retrouvant leur autonomie et acceptant l’individualisme de leurs tenants, une fois livrée la bataille présidentielle.

Ainsi l’élection présidentielle au suffrage universel, pièce maîtresse du système, a sans doute favorisé la formation d’une ossature de two-party system . Mais les rigueurs du système bipartisan dans les domaines de la cohérence idéologique, de l’organisation centralisée, de la discipline de vote ont été inutiles puisque la vie du gouvernement ne dépend pas de la fidélité du parti qui a porté son candidat à la présidence. L’un des enseignements de la vie politique américaine est que la bipolarisation en régime présidentiel se limite à ce qui est nécessaire à l’élection du président et que, pour le surplus, le multipartisme est latent.

3. Le régime présidentiel hors des États-Unis

Dans ce qui précède, l’on a pu mesurer combien le régime présidentiel est inséparable des institutions et de la vie politique des États-Unis; au point que l’on peut se demander si ceux-ci n’en offrent pas à la fois le modèle et l’unique exemplaire authentique.

Régime présidentiel, présidentialisme, régime semi-présidentiel

Juridiquement, nombre de pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud paraissent s’être donné des régimes présidentiels. On retrouverait en effet dans leurs constitutions l’élection du président au suffrage universel, la séparation des tâches législatives et exécutives, l’indépendance de chacun des pouvoirs par rapport à l’autre. C’est pourtant sous le nom de présidentialisme que nombre d’auteurs préfèrent caractériser les régimes en question.

Les raisons de ce fait sont plus politiques et sociales que juridiques. En fait, l’équilibre des pouvoirs est rompu au profit du président, souvent appuyé par l’armée (ce qui entraîne une certaine mise en tutelle), parfois par les syndicats qu’il manipule largement. Le respect de la légalité y est approximatif même s’il n’est pas question de pronunciamiento . C’est souvent de semi-dictatures qu’il s’agit.

On ne trouve pas, quoique pour des raisons différentes, l’ensemble des traits du système politique des États-Unis dans des régimes divers qui, tout en faisant au président chef de l’État une place très importante dans la vie politique, gardent l’essentiel du régime parlementaire avec la distinction entre le chef de l’État et le gouvernement et la responsabilité politique de ce dernier devant le Parlement. Ainsi, dans la Constitution allemande de Weimar entre les deux guerres, l’élection du président du Reich au suffrage universel direct, l’importance de ses prérogatives en temps de crise tranchaient avec le parlementarisme classique qui suppose un chef de l’État effacé, gardien de la légitimité et symbole de l’unité nationale, mais sans pouvoir politique effectif. Pourtant, les mécanismes essentiels du régime parlementaire jouaient, et dans les deux sens : existence d’un cabinet, responsabilité devant le Parlement, possibilité de dissolution. Avec beaucoup de nuances, dans lesquelles on ne peut entrer ici, on en dirait autant des régimes auxquels on accole parfois l’épithète de présidentiels: en Autriche, en Finlande, en Irlande, etc. Il s’agit de ce que certains auteurs appellent des régimes semi-présidentiels , entre lesquels il faudrait d’ailleurs distinguer selon qu’ils ont gardé plus ou moins de traits du régime présidentiel ou du régime parlementaire.

La France et le régime présidentiel

La France a, jusqu’à présent, plutôt «tourné» autour du régime présidentiel qu’elle n’y est entrée. Par sa conception de la séparation des pouvoirs, la Constitution de 1791 présente certains traits du régime présidentiel, à ce détail près que l’exécutif était confié à un monarque héréditaire. De même, la Constitution de l’an III exagérait, jusqu’à la superstition, la séparation du législatif et de l’exécutif, mais avait remis celui-ci à un organe collégial, le Directoire. Pour des raisons évidentes, le Premier et le Second Empire (au moins pour ce dernier jusqu’à l’Empire libéral) furent plus des dictatures césariennes et plébiscitaires que des régimes présidentiels, même si l’on fait abstraction de la substitution de l’hérédité à l’élection pour désigner le chef de l’État.

Finalement, c’est la Constitution de 1848 qui ressemblerait le plus, dans l’histoire constitutionnelle française, à un régime présidentiel. L’élection du président au suffrage universel direct, l’étendue de ses attributions, le refus du droit de dissolution autorisent ce point de vue. Mais les textes avaient laissé dans l’équivoque la question de savoir si le gouvernement avait besoin de la confiance des Chambres et la brève pratique politique entre l’élection de Louis-Napoléon et le coup d’État du 2 décembre 1851 ne permit pas de conclure sur ce point.

On s’est demandé si la Constitution de 1958 avait donné à la France un régime présidentiel. La question a été posée souvent dans les polémiques, en attachant au terme «régime présidentiel» le sens vague et inexact de régime conférant d’impressionnants pouvoirs au président. Une mise au point n’est pas inutile.

Dans sa teneur originaire, la Constitution de 1958 n’institue certainement pas un régime présidentiel. Le général de Gaulle, qui n’avait pas d’admiration particulière pour les institutions américaines, s’en est toujours défendu. D’ailleurs, le texte initial ne prévoyait nullement l’élection du chef de l’État au suffrage universel direct, mais par un collège national de «notables» qui n’était que la somme des collèges élisant les sénateurs. De plus – et c’est encore vrai aujourd’hui –, la Constitution maintenait les mécanismes fondamentaux du régime parlementaire: existence d’un gouvernement dirigé par un Premier ministre, responsabilité politique du gouvernement devant l’Assemblée nationale, droit de dissolution de celle-ci accordé au président.

Sans doute, dès 1959, le général de Gaulle fit-il prévaloir son autorité sur celle de son gouvernement, transformé en état-major d’exécution, se réservant, sans partage avec le gouvernement ni le Parlement, la défense nationale, la politique extérieure, la politique algérienne. Mais, au moins dans sa pensée, la pratique ainsi dégagée se rattachait-elle plutôt à la conception monarchique d’un pouvoir politique transcendant la politique des partis et à la conception plébiscitaire d’un dialogue direct du chef de l’État avec la nation.

Cependant, le référendum d’octobre 1962 instituant l’élection du président de la République française au suffrage universel direct, les élections présidentielles de 1965 et de 1969, qui, l’une et l’autre, ne furent acquises qu’au second tour, faute de majorité absolue au premier, ont introduit dans le régime français quelques traits du régime présidentiel; qu’il le veuille ou non, le chef de l’État est porté au pouvoir par une coalition de forme confédérale qui en fait plus un «leader» politique qu’un arbitre; il tire son autorité de l’ensemble de l’électorat national, ce qui, non seulement, le rend indépendant des Chambres, mais encore assure sa supériorité sur le gouvernement. Dans la pratique enfin, sur la lancée du général de Gaulle, ses successeurs se sont toujours voulus les véritables chefs de l’exécutif, sauf à se trouver contrés par un Parlement nouvellement élu.

Pourtant, la persistance des éléments très importants de régime parlementaire (cf. supra ) et qui ont l’avantage, au moins tant que la majorité parlementaire est inconditionnellement fidèle au chef de l’État, de doubler ses prérogatives présidentielles par les armes et l’influence dont l’exécutif dispose en régime parlementaire, permettent tout au plus, ici encore, de parler de régime «semi-présidentiel». Pour qu’un véritable régime présidentiel s’instaure en France, il faudrait que le chef de l’État devienne officiellement chef du gouvernement, que la responsabilité politique des ministres devant l’Assemblée nationale soit supprimée, que les prérogatives de l’exécutif empruntées au régime parlementaire (question de confiance, droit de dissolution) soient abolies, et probablement que la durée du mandat présidentiel, qui est de sept ans, soit ramenée à quatre ou cinq années.

4. Régime présidentiel et régime parlementaire

Une des idées les plus répandues dans le public, même politiquement cultivé, est que, par opposition au régime parlementaire, le régime présidentiel conférerait à l’exécutif incarné dans le président une sorte de toute-puissance, ce qui conduit souvent à mettre en cause le caractère démocratique de ce régime.

L’exemple américain, auquel il faut toujours revenir, prouve cependant le contraire. Sans doute le président des États-Unis est-il la pièce maîtresse du système politique et ses pouvoirs sont-ils très importants. Mais ils se trouvent à la fois limités et contrôlés, et cela pour deux raisons essentielles (même si l’on fait abstraction du fédéralisme): tout d’abord les Chambres demeurent détentrices exclusives du pouvoir législatif et du pouvoir budgétaire sans que le président puisse se passer d’elles et sans qu’il puisse les contraindre à s’incliner devant lui; d’autre part, la faiblesse du système de partis dont peut se contenter un régime présidentiel, dans lequel le soutien quotidien de l’Assemblée au cabinet n’est pas nécessaire, ne met pas à la disposition du président la mécanique d’un parti discipliné. «Si le régime présidentiel aboutit à un gouvernement stable, il n’aboutit pas nécessairement à un gouvernement fort» (M. Duverger).

Paradoxalement, la situation d’un Premier ministre dans un régime parlementaire de type britannique apparaît comme plus forte que celle du chef de l’État en régime présidentiel. La raison en est que le véritable two-party system , dont la Grande-Bretagne offre le modèle, a pour effet de conférer au parti victorieux aux élections législatives un mandat qu’il exerce en divisant son travail politique en deux formations qui ont pour chef unique le Premier ministre: le gouvernement et la majorité parlementaire ne sont que deux «sections» du parti au pouvoir. En fait, toute séparation traditionnelle des pouvoirs est abolie dans un tel régime puisque l’exécutif et la majorité du législatif sont indissolublement liés. La responsabilité du gouvernement devant la Chambre des communes n’a pas conduit à une crise ministérielle depuis plus de quarante ans: c’est devant le corps électoral, et devant lui seulement, que Premier ministre et parti majoritaire sont responsables. La véritable «séparation» n’est pas entre exécutif et législatif, mais entre pouvoir et opposition; l’importance de la Chambre des communes tient principalement à ce qu’elle est la tribune de l’opposition; la démocratie est assurée non par le risque des crises ministérielles provoquées par le Parlement, mais par les chances intactes que l’opposition a de ravir le pouvoir à la majorité lors d’élections générales.

De ces constatations certains auteurs ont déduit une théorie qui serait en gros la suivante: le régime parlementaire, par-delà toutes les théories politico-juridiques qui ont accompagné sa lente évolution, se ramène tout simplement aujourd’hui au gouvernement d’un parti en présence de l’opposition d’un autre parti et sous l’arbitrage périodique de la nation; il suppose un système de partis simple et rigoureux. Au contraire, le régime présidentiel, en prémunissant l’exécutif contre l’instabilité, en assurant l’équilibre et le dialogue de l’exécutif et du législatif, est en lui-même moins simple et peut-être moins efficace que le régime parlementaire, mais il est mieux adapté aux pays qui ne peuvent se donner un véritable two-party system , en raison de la complexité de leurs structures d’opinion. C’est pourquoi certains pensent que les institutions françaises devraient s’inspirer davantage de l’exemple américain, bien compris, plutôt que de l’exemple anglais.

Régime présidentiel régime politique de séparation stricte des pouvoirs qui se caractérise par l'indépendance organique et fonctionnelle de l'exécutif et du législatif. Le pouvoir exécutif est détenu en totalité par un président élu directement par le peuple ou selon des modalités qui s'y apparentent et irresponsable devant le Parlement ; réciproquement, ce dernier ne peut être dissous par le président. (Les États-Unis sont le premier pays à avoir adopté ce système.)

Encyclopédie Universelle. 2012.

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